La nuit enveloppait Altara de son manteau d’obscurité, percé çà et là par la lueur vacillante des lanternes. La cité millénaire, joyau de savoir et de pouvoir, semblait retenir son souffle, comme si elle pressentait l’importance de cette nuit particulière. Au sommet de la plus haute tour du palais royal, une fenêtre solitaire brillait encore, phare solitaire dans l’océan de ténèbres.
Dans cette pièce circulaire, dont les murs disparaissaient sous des étagères ployant sous le poids de grimoires anciens, se tenait un vieil homme. Son visage, creusé par les ans et les secrets, était illuminé par la lueur dansante des bougies. Ses yeux, d’un bleu délavé par le temps mais brillant d’une sagesse intemporelle, se posèrent sur ²
Le Gardien écrivait sans pause, son visage ridé trahissant une concentration intense mêlée d’une profonde mélancolie. Les heures s’écoulèrent, marquées uniquement par le grattement doux de la plume sur le papier et le crépitement occasionnel des bougies. Le monde extérieur semblait s’être évanoui, laissant place à cette communion intime entre l’homme et le livre, entre le mortel et l’éternel.
Soudain, la main du Gardien s’immobilisa. Ses yeux parcoururent les lignes qui venaient d’apparaître, un message énigmatique qui semblait palpiter sur la page, comme doué d’une vie propre :
* »Dans le blanc, deux mondes s’entrelacent,*
*L’un vaste comme l’océan, l’autre intime comme une goutte.*
*Ce qui est écrit n’est jamais fixe,*
*Ce qui est lu n’est jamais certain.*
*La vérité danse entre les lignes,*
*Le savoir coule comme l’eau entre les doigts.*
*Celui qui cherche à posséder perd tout,*
*Celui qui laisse couler gagne l’infini.*
*Dans le miroir des pages, le lecteur se lit lui-même,*
*Dans l’encre des mots, l’univers se dévoile. »*
Le Gardien resta immobile, laissant les mots s’imprégner dans son esprit. Chaque ligne semblait résonner avec une vérité profonde, une sagesse ancienne qui transcendait le temps et l’espace. Il comprit que ce message n’était pas une simple énigme à résoudre, mais une clé pour comprendre la nature même du savoir et du pouvoir.
« Ainsi commence un nouveau cycle, » murmura-t-il, sa voix à peine plus forte qu’un souffle. « Puissent ces mots guider ceux qui cherchent la vérité, et puisse le savoir, une fois de plus, trouver son chemin vers la lumière. »
Il se leva lentement, ses articulations protestant sous le poids des années et des secrets accumulés. Alors qu’il s’approchait de la fenêtre, les premières lueurs de l’aube commençaient à teinter le ciel de pourpre et d’or. Un nouveau jour se levait sur Altara, porteur de promesses et de dangers insoupçonnés.
Le Gardien contempla la cité qui s’éveillait lentement, ses pensées tournées vers les implications de ce qu’il venait de découvrir. L’énigme du Livre aux Pages Blanches n’était pas seulement un défi intellectuel, c’était un avertissement, une invitation à repenser la façon dont le savoir était perçu et utilisé dans le royaume.
Alors que le soleil émergeait à l’horizon, baignant Altara de sa lumière dorée, le Gardien sentit le poids de sa responsabilité peser lourdement sur ses épaules. Il était le gardien non seulement du livre, mais aussi des secrets qu’il contenait, des vérités qui pourraient façonner ou détruire le royaume selon la manière dont elles seraient comprises et utilisées.
Avec un soupir, il se détourna de la fenêtre, son regard se posant à nouveau sur le Livre aux Pages Blanches. L’énigme qui y était apparue était plus qu’un simple message ; c’était un présage de changements à venir, une promesse de révélations qui ébranleraient les fondements mêmes d’Altara.
*
Le Gardien contemplait le livre et ses implications lorsque son esprit fut soudain assailli par les souvenirs du passé. Les images d’un jour fatidique, vingt ans auparavant, resurgirent avec une clarté douloureuse, comme si le temps n’avait pas d’emprise sur la mémoire de cette terrible journée.
*Vingt ans plus tôt…*
Le cri déchirant du roi Aelar résonna dans la grande salle du trône, se répercutant sur les murs de marbre comme l’écho d’une ère qui s’achevait. Son corps s’effondra avec une grâce macabre, une mare de sang s’élargissant autour de lui, sa couronne roulant aux pieds de son frère dans un tintement qui semblait sonner le glas d’une époque.
Helion, le visage déformé par un mélange de triomphe et d’horreur, se tenait au-dessus du corps de son frère, une épée ensanglantée à la main. Ses yeux, d’un bleu glacial qui rappelait les profondeurs d’un glacier, balayèrent la salle, défiant quiconque de s’opposer à lui. La lumière qui filtrait à travers les vitraux colorés semblait teinter la scène d’une irréalité, comme si l’univers lui-même refusait d’accepter cet acte contre nature.
« C’est fait, » gronda Helion, sa voix rauque brisant le silence oppressant qui avait suivi le meurtre. « Le trône est mien. » Ses mots résonnèrent dans la salle, mêlant une assurance feinte à une note de désespoir à peine perceptible.
Le Gardien, dissimulé dans l’ombre d’une colonne massive, observait la scène, le cœur lourd. Le Livre aux Pages Blanches, serré contre sa poitrine, semblait frémir, comme s’il ressentait la perturbation dans l’équilibre du pouvoir. Le Gardien pouvait presque sentir les pages vibrer en réponse au bouleversement qui venait de se produire, comme si l’acte d’Helion avait des répercussions bien au-delà du simple plan physique.
Rassemblant son courage, le Gardien s’avança dans la lumière. Sa voix, douce mais ferme, trancha le silence tendu qui régnait dans la salle : « Prince Helion, » dit-il, chaque mot pesé avec soin, « vous avez brisé plus que la vie de votre frère aujourd’hui. Vous avez rompu l’équilibre sacré qui maintient l’harmonie de notre royaume. Le sang royal versé par la main d’un frère… Les conséquences de cet acte résonneront à travers les âges, bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer. »
Helion se tourna vers lui, ses yeux brillant d’une lueur dangereuse, mêlant colère et une pointe de peur qu’il tentait de dissimuler. « Gardien, » cracha-t-il, le titre sonnant comme une insulte dans sa bouche, « vous qui prétendez tout savoir, dites-moi donc ce que l’avenir me réserve. Le trône est-il vraiment mien ? »
Le Gardien resta silencieux un moment, ses doigts caressant inconsciemment la couverture du livre qu’il tenait. Il pouvait sentir le poids de l’histoire se cristalliser autour de cet instant, comme si le futur d’Altara tout entier dépendait des mots qu’il allait prononcer. Puis, il parla, sa voix prenant une qualité étrange, comme si elle venait de très loin, portant l’écho de vérités anciennes et de futures incertaines :
« Le trône sera vôtre, Helion, mais à quel prix ? Vous régnerez, mais dans l’ombre de votre acte. Et sachez ceci : le savoir que vous cherchez à contrôler est comme l’eau d’une rivière. Plus vous tenterez de le contenir, plus il vous échappera. Ce livre, » il désigna l’ouvrage qu’il tenait, « renferme des vérités que même vous ne pouvez saisir. Dans le blanc de ses pages, deux mondes s’entrelacent, et celui qui cherche à les posséder risque de tout perdre. »
Helion ricana, mais une lueur d’incertitude traversa son regard, trahissant le doute qui commençait à s’insinuer dans son esprit. « Des énigmes et des mystères, voilà tout ce que vous avez à offrir, vieil homme ? Peu importe. Le savoir sera contrôlé, et Altara prospérera sous ma direction. Vos mots creux ne changeront rien à cela. »
À cet instant, comme si le destin lui-même orchestrait les événements, la reine Lyria, épouse d’Aelar, fit irruption dans la salle. Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur devant la scène macabre qui s’offrait à elle. Son regard passa du corps sans vie de son mari à Helion, debout triomphant, l’épée encore tachée du sang royal.
« Non ! » hurla-t-elle, un cri qui semblait contenir toute la douleur et le chagrin du monde. Elle se précipita vers le corps d’Aelar, mais avant qu’elle ne puisse l’atteindre, les gardes d’Helion l’interceptèrent, la retenant fermement malgré ses efforts pour se libérer.
Helion s’approcha d’elle, un sourire froid aux lèvres qui contrastait avec la chaleur feinte de sa voix. « Ma chère belle-sœur, » dit-il d’un ton doux, « quelle tragédie nous frappe là. Mais ne craignez rien. Je veillerai sur vous et votre fille. Après tout, nous sommes une famille, n’est-ce pas ? »
Les mots d’Helion semblaient flotter dans l’air, chargés d’une menace à peine voilée. Lyria, les yeux brillants de larmes et de rage contenue, le fixa avec un mélange de dégoût et de terreur.
« Que compte du faire de ma fille », demanda Lyria encore choqué par la vision de cette scène macabre.
Hélion regarda intensément sa belle-sœur et lui répondit avec un calme qui témoigne d’un calcul aussi intelligent que fragile : « Je ne compte pas faire de mal à ta fille, bien au contraire. Elle fera partie de la nouvelle royauté. En épousant mon ainé, le prince Arion, elle scellera l’union de nos deux lignées et assurera la stabilité du royaume. »
Hélion pris alors place sur le trône alors que le corps de son frère gisait encore sous l’œil terrifié des personnes présentes.
Le Gardien s’approcha de la reine, posant une main réconfortante sur son épaule. Leurs regards se croisèrent, une compréhension muette passant entre eux. « Le cycle continue, » murmura le Gardien, si bas que seule Lyria put l’entendre. « Mais rappelez-vous, ma reine : même dans les ténèbres les plus profondes, une étincelle de lumière peut survivre. »
Lyria hocha imperceptiblement la tête, comprenant le poids des paroles du Gardien. Elle se redressa, faisant face à Helion avec une dignité qui contrastait avec le chaos de la scène.
Helion, inconscient de l’échange silencieux qui venait d’avoir lieu, se tourna vers les gardes et les nobles présents. « Que tous entendent et sachent, » proclama-t-il d’une voix forte, « que l’ère de la force et du savoir maîtrisé et de la prospérité perdurera. Le règne d’Helion le Fort débute aujourd’hui ! »
Ses paroles résonnèrent dans la salle du trône, mais le Gardien nota les regards incertains échangés par certains nobles. Les graines du doute étaient déjà plantées, et il savait que les années à venir seraient cruciales pour l’avenir d’Altara.
Alors que la cour commençait à s’agiter, se préparant pour la proclamation officielle du nouveau roi, le Gardien sentit le poids du Livre aux Pages Blanches s’alourdir dans ses mains. Il savait que les événements de cette journée n’étaient que le prélude à une ère de changements et de défis pour Altara.
*
Le Gardien émergea de ses souvenirs, le poids du passé et de l’avenir pesant lourdement sur ses épaules. Il se tourna vers le Livre aux Pages Blanches, sentant sous ses doigts les vibrations subtiles du savoir contenu dans ces pages apparemment vierges. L’énigme qui y était apparue brillait toujours faiblement, comme une promesse de révélations à venir.
Le Gardien caressa une dernière fois la couverture du Livre aux Pages Blanches avant de le reposer sur son socle, là où il demeurait, intact et mystérieux. Ses pensées dérivèrent vers ceux qui, sans le savoir, étaient déjà liés à l’histoire encore non écrite. Le Livre ne restait jamais silencieux trop longtemps, et bientôt, il choisirait celui qui pourrait tenter de percer ses secrets.
Le gardien quitta sa tour et alors que la porte se refermait, un observateur attentif aurait pu voir un bref scintillement sur les pages apparemment vierges, comme si le livre lui-même anticipait les événements à venir, ceux qui allait changeait le destin, notamment celui du Prince Arion fils d’Helion. Le livre parlait à travers les mots suivants qui, aussitôt apparus, s’empressait de s’effacer.